Le mot Clone a une origine Hellénique Klon qui veut dire « petite branche » ou « rameau » ; il sert à désigner des organismes identiques issus d’un ancêtre commun par des moyens autres que la reproduction sexuée. La question du clonage a beaucoup inspiré le cinéma. Souvent présenté comme un moyen de reproduction alternatif, ce procédé a toujours suscité une certaine fascination. La question a toutefois été peu traitée du côté du désir de celui qui veut être cloné. Pourtant on peut s’interroger sur la démarche de vouloir en passer par le clonage pour se reproduire plutôt que par le truchement d’un projet parental. Vouloir un enfant c’est souhaiter avoir une partie de soi (et de l’autre) au sein d’un individu original alors que vouloir un clone c’est vouloir un être identique à soi. C’est une reproduction au sens littéral, comme une photocopie. C’est ainsi que ce projet véhicule un fantasme d’immortalité. Cette dichotomie entre ces deux modes de reproductions se retrouve également dans le monde du vivant. En effet, au cours de l’évolution, les cellules se sont d’abord reproduites par duplication, ce qu’on appelle la Mitose. C’est à proprement parler un clonage. La cellule se divise en deux cellules strictement identiques. Dans ce sens il existe une immortalité, la cellule mère se duplique et reste telle quelle. C’est la sexualité qui a introduit la mort dans le vivant via un autre mode de reproduction des cellules : la Méiose. Dans la Méiose deux cellules donnent la moitié de leurs patrimoines génétiques pour former des cellules sexuelles (ou gamètes) pour la reproduction. Ainsi, deux organismes vont, via les gamètes, former un 3ème organisme entièrement nouveau, différent des deux autres qui lui ont donné l’existence. La sexualité implique les générations, en créant des entités originales. Ce faisant elle implique la mort ; pour qu’un nouvel individu soit créé, il faut que les « anciens » lui laissent la place.
Si on se place maintenant au niveau de l’être humain, se reproduire par clonage, permet d’échapper à la reproduction sexuelle et à la mort en s’autocopiant à l’infini. Le cinéma à largement exploité ce thème comme dans : Gémini Man, Réplicas, à l’aube du 6ème jour, The island, Never let me go…
Une autre question peut se poser avec le clonage c’est l’identité. Si le clone est indéniablement une copie génétiquement parfaite de son original, qu’en est-il de la personnalité ? Le clone sera-t-il la même personne ? Ressentira t’il les mêmes émotions ? aura-t-il les mêmes idées ?
Bien sûr, la personnalité dépend pour une part de la biologie et pour une autre part de nos expériences et surtout à la combinaison des deux. Et donc aux questions précédemment citées on peut répondre par la négative. C’est là que la science-fiction se décale de la réalité pour aborder ce thème en prolongeant le fantasme de la copie de l’être original aussi bien physiquement que psychiquement. L’idée est alors que le clone reflète ce dont il est issue mais tout en étant différent puisqu’il est lui-même un autre organisme.
Deux films traitent cette question de manière subtile : Oblivion de Joseph Kosinski et Moon de Duncan Jones (attention à ceux qui n’auraient pas vu les films, je vais en dévoiler les principales intrigues).
Oblivion (oubli en français) à pour cadre la terre en 2077 après des décennies de guerre contre une force extraterrestre. La terre est dévastée, il ne reste que deux humains, Jack Harper joué par Tom Cruise et Vika joué par Andréa Riseborough. Leur mission est de surveiller les énormes plateformes d’extraction d’eau de mer, qu’elles transforment en énergie afin d’alimenter le Têt, station spatiale en orbite autour de Titan déjà habitée par le reste de l’humanité. Ils leur restent deux semaines avant de rejoindre la station et ils sont en contact fréquent avec Sally, leur principale intermédiaire de ce qu’il reste de l’humanité. Sur terre ils ne sont pas tout à fait seuls, il reste des extraterrestres, surnommés Chacals qui vivent de différents pillages et sabotages des installations que Jack doit surveiller. Jack et Vika sont secondés par divers drones dont ils ont également à charge l’entretien.
Dès le début, Jack est en proie à des rêves, réminiscences dont il ne sait pas s’il s’agit de souvenirs ou de rêves proprement dit. Et puis il se pose des questions, sur les évènements, le sens des choses, le passé… questionnement que ne partage pas sa collègue qui reste collée au règlement. Un exemple parmi d’autres, Jack ramène de son expédition une fleur qu’il offre à sa collègue et compagne (la terre est je le rappelle dévastée et la présence de faune ou flore est très rare). Cette dernière la jette au prétexte de la réglementation qui l’interdit, elle fait fi du geste.
Ainsi, Jack reste seul avec ses interrogations et profite de ses rondes pour explorer certaines zones, notamment une qui est interdite par le Têt. Lors de ses pérégrinations il en profite pour collectionner tout un tas d’objets de l’ancien monde qu’il stocke dans un endroit connu de lui seul, un écrin de nature exceptionnellement conservé.
Je passe rapidement sur toutes les péripéties du film pour me centrer sur la seule question du clonage, malheureusement ce ne sera pas sans dévoiler l’intrigue principale.
Les premières choses qui vont permettre à Jack de sortir de sa condition de clone c’est la collection d’objets qui ne sont rien d’autre que des artefacts de l’humanité. Ensuite c’est la confrontation à sa femme, celle qu’il voyait en rêve ; ce qui va lui faire prendre conscience qu’il s’agissait bien de souvenirs. Enfin c’est la rencontre avec les autres humains, ceux que le Têt désignait du terme de « chacal » et les faisait passer, comble de l’ironie, pour des extraterrestres qu’il fallait exterminer. Ces humains vont mettre les dernières pièces du puzzle en place : La terre a été décimée par les extraterrestres et ces derniers ont cloné les premiers humains qu’ils ont capturé c’est-à-dire Jack et Véra. Comme tout bons clones, ils ne sont pas qu’en un seul exemplaire et sont remplacés régulièrement selon les défaillances et accidents. Ainsi, les extraterrestres font gérer le pillage des ressources terrestres par ces clones et leurs drones via les plateformes d’extraction d’eau.
Jack va s’extraire de sa modalité de clone - c’est-à-dire un être programmé par les extraterrestres à faire des tâches, parfaitement remplaçable et sans individualité - pour intégrer la condition humaine, celle du doute.
Le procédé des envahisseurs est pernicieux car ils se servent des derniers souvenirs de Jack, juste avant qu’il ne se fasse capturer. On voit que dans le principe de l’histoire, un clone est un corps qu’on peut contrôler en y injectant des souvenirs qui formeront une identité. C’est très souvent ainsi que les clones sont pensés dans la science-fiction pour continuer à faire vivre ce sentiment d’immortalité. Ce qui finalement sauve Jack, c’est son penchant humain : le doute, les émotions, la réflexion ; tout ce que le Têt va essayer d’étouffer par ses protocoles et ses conditionnements. L’humain, dans sa faille, au travers du doute, résiste au réel de la robotisation, de la programmation.
Voyons voir quelles sont les similitudes avec Moon de Duncan Jones. Ce film pose comme décor une base lunaire d’extraction minière. Comme beaucoup de film sur le thème du clonage il repose sur l’intrigue du clone ignorant sa condition et qui la découvre au fur et à mesure. C’est un huis clos où un opérateur du nom de Sam (joué par Sam Rockwell) gère la mine à l’aide d’un robot surnommé Guerty. Il a des contacts réguliers avec sa femme et sa fille qu’il va retrouver à la fin de sa mission d’une durée de 3 ans. Les contacts sont réguliers mais indirects car l’antenne satellite est en panne, ce qu’il reçoit ce sont des enregistrements.
Le quotidien de Sam semble assez ennuyeux et solitaire, le seul à pouvoir converser avec lui de façon directe est un robot, certes très évolué, mais un robot. Quelques activités et loisirs sont prévus sur la base mais très vite on sent poindre une certaine solitude. Les premiers effets néfastes se manifestent par des hallucinations qui vont jusqu’à provoquer un incident dans lequel il se brûle.
Peu après, lors d’une sortie en véhicule pour vérifier les installations, une hallucination lui fait avoir un accident assez grave. Il perd connaissance et se réveille à la base.
En sortant de l’infirmerie il surprend le robot en train d’avoir ce qui semble être une conversation directe avec la terre. Le robot dément. Sam semble être dans un état confus, ne se souvient pas de l’accident, il est troublé. La réaction du robot ne se fait pas attendre et Sam se retrouve interdit de sortir de la base car considéré comme non fiable. Ici se dévoile un peu le vrai rôle du robot, c’est-à-dire la surveillance de l’être humain et en aucun cas être subordonné à lui.
Encore une fois s’insinue le doute, il ne comprend pourquoi on l’interdit de sortir de la base. Qu’à cela ne tienne, il sabote une installation pour pouvoir sortir et se rend sur les lieux de l’accident. Ce qu’il découvre le submerge : lui encore installé au poste de pilotage du véhicule. Il ramène le corps à la base et interroge Guerty qui ne lui fournit aucune réponse. Le Sam de l’accident se réveille et fait face à l’autre Sam. Le premier pense avoir à faire à un clone ; quoi de plus normal lorsque l’on est sûr d’être un humain doté d’une identité.
Par la suite, les « 2 » Sam vont apprendre la vérité sur leur condition. L’entreprise qui gère l’extraction minière utilise des clones d’une durée de vie de 3 ans. A chaque fin de mission, il est signifié au clone qu’il doit se rendre dans le caisson de cryogénisation afin de retourner sur terre. Caisson de cryogénisation qui se révèle être un crématorium éliminant le clone pendant que le robot en réveille un autre (sur la base il y a plusieurs centaines de clones). Pour faire tenir l’agent humain, il lui intègre des implants mémoriels du Sam originel lui faisant croire qu’il est l’acteur principal de cette vie alors qu’il n’est finalement qu’un énième figurant. Pour alimenter les souvenirs, l’entreprise met en place des échanges de message avec sa femme et sa fille en différé. Car ce qui peut être accepté dans le film Oblivion, à savoir la gestion et la reproduction de clones par des extraterrestres ne peut l’être par la société. C’est ce scandale que le clone va mettre au grand jour en s’échappant et en retournant sur terre.
Pour conclure on peut remarquer que la science fiction traite assez souvent de manière similaire la condition du clone. A savoir, la reproduction d’un corps biologique auquel on intègre une simili identité faite de souvenirs pris à un vrai humain. On est dans une conception au fond très mécanique de ce qui fonde l’être humain. Ainsi la personnalité ne serait qu’une somme de souvenirs. Mais la force des auteurs de sciences fictions et qui se révèle dans ces films c’est de souligner ce qui fait non pas l’identité mais l’humanité. En effet dans les deux films ce qui vient faire humanité pour les personnages c’est la faille, le doute, les erreurs. On peut même y mettre les hallucinations en suivant Lacan qui disait « l’être de l’homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie comme la limite de sa liberté ».
Ce sont deux visions qui s’opposent, la première qui est technologique et qui permet non seulement le clonage mais également la création de souvenirs chez un être biologique et la deuxième purement humaine qui faite de ce qui trébuche, cloche chez l’Homme. C’est parce qu’il s’éloigne d’une pure rationalité, qui est dans ce cas-là synonyme de programmation, que l’Homme est l’Homme. On pourrait même dire que c’est par ce qu’il oublie et non par ce dont il se souvient que l’hominidé est humain. Ce qui fait émerger le doute c’est un trou dans le savoir, une façon tout à fait humaine d’oublier par le refoulement. C’est au fond le refoulement qui va venir faire identité et personnalité. Dans les deux films, les personnages essaient désespérément de se rappeler, de se souvenir, de reconstituer le puzzle. C’est par là qu’il gagne leur statut d’humain et sorte de leur condition de clone.
C’est également par ce chemin que la psychanalyse opère ; le plus important parfois n’est pas ce que l’on dit mais ce qu’il manque à dire.