Robocop ou l'évolution de notre rapport à la technologie

Parfois les films nous permettent de faire une lecture de notre rapport au monde. La science-fiction en tant que genre, permet de concevoir ce que serait la place de l’humain dans le monde de demain. Mais la science-fiction même lorsqu’elle se plaît à décrire des mondes purement imaginaires vient nous parler de notre présent. Ce qu’elle met en scène et en histoire, ce sont les inquiétudes, angoisses, désirs de l’être humain face à un monde qui peut parfois se révéler énigmatique. De ce point de vue-là, la science-fiction est intemporelle. Écrire une fiction où deux individus sont séparés par des années lumières de distance ou une fiction sur le XVème siècle mettant en scène deux individus séparés lors de la conquête du nouveau monde viendra parler de la même absence. La science-fiction reste ancrée dans le monde social et politique dans lequel elle a été écrite. Par exemple il y a eu une grande production de récit autour d’un monde post-apocalyptique pendant la guerre froide. Ce genre de récit s’inscrit directement en rapport avec la technologie et le climat politique du moment. C’est ce rapport entre le bain culturel et les interrogations caractéristiques de cette littérature qui permet parfois, comme un miroir, de percevoir qu’elles sont les évolutions dans notre rapport à la technologie. On peut prendre pour exemple de cette évolution le film Robocop de Paul Verhoeven (1987) et de son « remake » de José Padilha (2014).

La base des deux films est l’histoire d’un policier qui, gravement blessé lors d’une intervention, se voit entièrement robotisé et remis en service en tant que policier. C’est là que les choses se compliquent puisque contrairement aux attentes de ses « créateurs » il se met à enquêter sur son propre crime, le résoudre et mettre à jour le tissu de corruption qui lie l’entreprise, la police et les politiques.

Au premier abord on peut penser que les deux films présentent la même histoire, mais dans le deuxième opus, les valeurs y sont radicalement renversées. Alors que dans le Robocop de Verhoeven c’est l’homme qui représente la perfection ; cette dernière est détenue par la machine dans le Robocop de Padilha. Mais reprenons les histoires pas à pas.

1) Robocop de Paul Verhoeven

Le monde est en crise ; d’abord autour d’une guerre nucléaire qui menace à tout moment de se déclencher ; ensuite par une délinquance ultra violente qui frappe la plupart des quartiers (seuls les quartiers les plus favorisés sont à l’abri) ; enfin la vie sociale, politique et économique est gérée par des multinationales ultra prédatrices au point où les hommes politiques semblent ne plus avoir aucuns pouvoirs.

O.C.P (Omni Cartel de Produit) est l’une de ces multinationales. Elle gère, via un contrat avec la ville de Détroit, la sécurité. Son but est de vendre ses produits à la police et à l’armée. Produits qui sont des robots de combat fortement armée et qui pourraient, selon elle, faire disparaître la délinquance. Le problème c’est que les robots ont un défaut, ils n’ont pas la capacité de discernement. Lors d’une démonstration du produit, il tue un humain car il n’a pas perçu que l’homme avait jeté son arme. Cet échec rend invendable le produit. O.C.P développe alors un autre programme de recherche : robotiser l’humain. C’est à dire prendre les qualités humaines (et notamment de discernement lorsqu’il est face à une cible) et les appareiller avec de la robotique. Comme c’est O.C.P qui est en charge de la sécurité de la ville, il ne lui reste plus qu’à sélectionner les meilleurs profils chez les policiers (physiques et psychologiques), les placer dans les quartiers les plus dangereux et attendre l’accident qui ne manquera pas d’arrivée, vu le taux de délinquance, pour récupérer un corps.

L’agent Alex Murphy victime d’une violente fusillade et récupéré par O.C.P qui peut maintenant poursuivre son programme. Tout d’abord, l’agent Alex Murphy est déclaré mort en service. Ensuite il est robotisé (on va jusqu’à l’amputer des membres restants pour y substituer des éléments robotiques et armés). Enfin on lui efface la mémoire car il n’est pas question de remettre l’agent Alex Murphy en capacité de reprendre son service mais bien de mettre en service un robot dotés d’aptitudes psychiques humaines. Sa personnalité est remplacée par un programme informatique. Dans le film, Robocop est décrit comme « un ordinateur programmé à vie pour maintenir la sécurité ». Il a trois obligations principales : être au service des citoyens ; protéger les innocents et faire respecter la Loi.

Dans les premiers temps, Robocop remplit très bien son rôle ; il est d’une efficacité redoutable, développe des stratégies pour appréhender les délinquants et devient une idole pour les citoyens. C’est par le rêve que revient son humanité. En effaçant sa mémoire, O.C.P a, peut-on dire, refoulé certaines représentations qui resurgissent dans un rêve (voie royale vers l’inconscient selon Freud). Il revit dans ce cauchemar son propre meurtre. Ce rêve fait surgir en lui une infraction (le meurtre) que son programme l’oblige à résoudre (loi 3 : faire respecter la Loi) ; il part alors à la recherche de ses meurtriers. Deux autres événements vont également avoir leur importance. Dans le premier, il croise son ancienne partenaire qui l’appelle par son nom mais il ne la reconnaît pas. Son ancienne partenaire sera d’ailleurs réprimandée par la hiérarchie « il n’a pas de nom, il a un programme ». Le deuxième événement le confronte à un de ses agresseurs qui le reconnaît également. C’est à dire que dans ces deux événements il se voit nommer, reconnus non pas en tant que Robocop mais en tant qu’Alex Murphy. C’est à partir de là qu’il recherche le dossier d’Alex Murphy et qu’il enquête sur son propre meurtre.

En remontant la piste des tueurs, il découvre qu’ils sont protégés par le vice-président d’O.C.P. Mais son programme l’empêche de s’en prendre à un membre de l’O.C.P. Finalement c’est son côté humain qui réussira à prendre le dessus sur le programme et il exécutera le vice-président. L’ironie du sort est que dans cette société ils n’ont pas développé les robots car ces derniers n’étaient pas capables de discernement. Alex Murphy, en reprenant le contrôle sur Robocop si on peut dire à poser un acte humain mais un acte qui donne la mort, ce qui était censé être évité en insérant de l’humain dans le robot. Le discernement n’amène pas toujours à la tempérance.

Voyons maintenant comment ce film a été revisité par José Padilha.

2) Robocop 2014 de José Padilha

Ce deuxième film commence un peu différemment. L’ouverture se fait sur une intervention militaire américaine dans un pays du moyen orient. Les robots de la firme O.C.P sont déployés pour faire régner l’ordre. Il y en a de deux types : les ED 209 (pour faire un clin d’œil au Robocop de Verhovoen) et les humanoïdes EM 208. Bien que les robots soient déployés partout à l’étranger où l’armée (privée) américaine intervient, sur le sol américain ils sont prohibés. O.C.P se trouve face à un refus de l’opinion publique de voir la sécurité assurée par des robots. C’est dans ce cadre que la multinationale fait appel à des journalistes pour faire un reportage en territoire étranger en montrant l’efficacité des machines. On retrouve la connivence entre les médias et les entreprises. D’une façon tout à fait habile, les médias font le parallèle entre un taux de criminalité et de violence excessivement élevé aux USA et un taux de criminalité amené à zéro en territoire occupé grâce aux robots. Contrairement au film de 1987, l’homme ne fait pas le poids face aux robots.

Mais le reportage ne va pas se passer comme prévu. Un groupe de terroristes profite de la présence des reporters pour tenter une action. Leur but est de mourir devant la caméra (ils savent qu’ils n’ont aucune chance contre les robots) afin que le monde voit l’état d’assujettissement dans lequel ils sont. Un des fils de terroriste souhaitera également prendre les armes contre l’avis de ses parents et s’emparera d’un couteau pour affronter un robot humanoïde. Le robot fonctionne de façon

binaire : Présence de Menace/ absence de menace. L’adolescent armé d’un couteau représente une menace, il est abattu après la sommation d’usage. L’image filmé par la caméra est terrible, l’introduction des robots aux USA est impossible en l’état.

Il y a un débat aux Etats-Unis sur le déploiement des robots qui se résument sur le fait que si une machine tue un enfant elle ne va rien ressentir. Le robot ne fait pas de distinction entre la vie et la mort, il ne ressent pas d’émotion. Ceci va faire réfléchir le PDG d’ O.C.P ; il a réussi a acheter les politiques mais pas l’opinion publique. Il se dit que les gens veulent un « produit qui a une conscience… qu’il sache ce que ressent un humain » ; il a alors l’idée de « mettre de l’humain dans le robot ».

O.C.P outre le fait de s’occuper de la sécurité de la ville de Détroit, fait des recherches sur les prothèses humaines. Dans une des scènes on voit un guitariste avec deux mains mécaniques en train de jouer de son instrument. Le problème c’est que les émotions viennent interférer dans les conductions nerveuses et il se trouve incapable de jouer. Au conseil du scientifique qui lui dit de se calmer, se détendre, il répond « j’ai besoin de mes émotions pour jouer ». Le problème est reposé : les émotions humaines et la robotique ne font pas bon ménage. O.C.P va toutefois continuer dans cette voie pour essayer de faire accepter les robots aux citoyens.

C’est là où le film se décale un peu du premier. Il s’agit de trouver un symbole c’est à dire de choisir un humain dont le trauma pourrait avoir un impact sur l’opinion publique. Un policier réduit à l’incapacité dans l’exercice de ses fonctions se révèle être un excellent choix. D’une part il montre comment les policiers sont victimes de la violence alors qu’ils essaient de protéger les citoyens et d’autre part O.C.P a le beau rôle en permettant à un vétéran de reprendre son travail et sa vie de famille (évidemment s’il est marié et a des enfants c’est autant de bonus pour l’opinion publique).

C’est à ce moment qu’Alex Murphy rentre en jeu. Il est avec son partenaire sur une enquête de trafic d’armes et il a de lourdes présomptions sur deux autres policiers qui détourneraient les armes du commissariat. Son partenaire est blessé lors d’une opération et il fait part de ses accusations à sa supérieure. De leur côté, les policiers incriminés en réfèrent au chef de gang pour qui ils travaillent et lui demande d’éliminer Murphy et une fois qu’ils seront chargés de l’enquête ils enterreront le dossier. Le chef de gang du nom de Vallon va piéger sa voiture avec de l’explosif mais Murphy ne mourra pas.

Suite à cette tentative de meurtre, Murphy est récupéré par O.C.P qui parvient à convaincre sa femme que c’est la seule solution pour le sauver. Contrairement au film d’origine, il n’est pas question d’effacer l’identité d’Alex Murphy car ce qui intéresse O.C.P c’est le symbole. Il s’agit de vendre à l’opinion publique un robot « maquillé » en humain, le tout auréolé de la gloire du vétéran blessé alors qu’il exerce son métier de protection du citoyen. L’entreprise se lance dans un véritable plan marketing, elle organise des groupes de paroles dans les prisons afin de déterminer ce qui ferait le plus peur aux délinquants. La conception de Robocop est prise sous l’angle du produit à vendre à l’opinion publique, il faut donc un design convainquant. Toutefois, O.C.P va rencontrer une difficulté, Robocop est beaucoup moins performant que son homologue robotique et ce pour une raison simple : Le logiciel dont est équipé Robocop évalue la menace et envoie l’information au cerveau ; ce dernier traduit le message et y ajoute de l’émotion, enfin cette traduction est renvoyée au corps machine afin d’effectuer une action. Robocop a toujours un temps de retard.

La solution va être trouver en faisant une analogie entre le robot et l’humain : « la conscience n’est rien d’autre que le traitement des informations ». Les chercheurs vont alors doter Robocop d’un logiciel plus puissant. Ce programme va non seulement évaluer la menace mais également contrôler toutes les actions en cas de combat. La subtilité réside dans le fait que Murphy va avoir l’impression de contrôler alors que ce sera la machine qui le fera ; ce sera l’illusion du libre arbitre. On comprend dès lors comment O.C.P gagne sur tous les tableaux, d’un côté en dehors des

combats c’est « l’humain » Murphy qui contrôle, ce qui permet d’avoir un produit vendeur pour l’opinion publique. De l’autre côté, c’est un logiciel qui contrôle lors des combats, ce qui permet d’avoir une machine d’une redoutable efficacité (bien plus qu’un être humain).

Mais une autre difficulté va se présenter pour O.C.P, en gardant la personnalité de Murphy ils ont omis la possibilité qu’il puisse avoir envie de continuer l’enquête sur laquelle il était. Murphy va se mettre a enquêter sur sa tentative de meurtre et l’émotion qu’il va ressentir va influer d’une manière négative sur le logiciel. En d’autres termes, il laisse passer certaines infractions pour ne se consacrer qu’à son affaire. Décidément, l’humain est ce qui résiste toujours à la robotique. Mais les chercheurs ne vont pas s’avouer vaincu et vont tenter de mettre en œuvre la théorie freudienne du refoulement (même si bien sûr il ne la formule pas comme ça). Pour Freud il y a les représentations et les affects. Lorsqu’une représentation est trop chargée d’affect elle est refoulée. Mais il n’y a que la représentation qui est refoulée, l’affect quant à lui est associé à une représentation ou détourné sur le corps par exemple (d’où les symptômes, les phobies ou conversion hystérique). Les chercheurs vont alors confronter Murphy à sa scène de crime et diminuer l’émotion (en diminuant sa réponse neuronale, c’est à dire en abaissant la dopamine). Le résultat est spectaculaire, Murphy ne ressent plus rien face à cette scène mais il ne ressent plus rien du tout, il est comme un zombi sans aucune trace d’émotion et ne répondant qu’au logiciel qui du coup prend le dessus même hors combat. Il ne manifeste plus aucun intérêt ni affect pour sa famille.

C’est sans compter sur la nature humaine. Alors qu’ O.C.P empêche sa femme de le voir, cette dernière arrive à croiser Murphy et à lui exposer sa détresse et celle de leur fils. Au premier abord Murphy ne semble pas réagir, son logiciel lui impose de résoudre des infractions en train de se commettre et il s’en va. Mais sur le chemin il cherche des informations sur son fils et les images qu’il trouve (via les caméras de sécurité dont la ville est truffée) lui indique qu’il est en état de « détresse émotionnelle ». Ça ne va pas être sans effet sur Murphy car même s’il n’a plus d’affects, il a encore la logique, le raisonnement ; se rendre compte que son fils est traumatisé ne le laisse pas indemne. Il va alors essayer de trouver l’origine de ce traumatisme et va aboutir à la scène de son crime ; son fils en a été témoin. Il va alors se repasser cette scène en boucle et se reconfronter à ses propres émotions. C’est par ce lien (la détresse de son fils) qu’il annule la résorption de ses émotions. L’humain a repris le contrôle sur le logiciel.

En reprenant le contrôle, Murphy reprend son enquête qui l’amène à inculper sa supérieure ; c’est à ce moment-là, qu’il est désactivé. Derrière la corruption de la police, se trouve O.C.P qui n’a aucun intérêt à voir les membres corrompus de la police arrêtés. O.C.P dirige la police via un contrat de sécurité mais également via la corruption ce qui lui permet de faire du trafic d’arme et de drogue. Mais la tentative d’arrestation va servir les intérêts d’ O.C.P car elle va mettre en lumière la nature faillible de l’être humain. Un humain peut être corrompu mais pas un robot. La solution est alors de généraliser la présence des robots pour la sécurité de la ville. Encore une fois, l’humain ne fait pas le poids par rapport au robot. O.C.P décide de supprimer Robocop qui devient gênant en orchestrant sa mort. Comme Robocop est plébiscité par les gens, le PDG d’ O.C.P en espère un gain symbolique « qu’est ce qui est plus grand qu’un héros ? Un héros mort ».

Ici on retrouve la même scène de fin. Robocop réussit à s’échapper avec l’aide du professeur à l’origine de son programme. Il se met en quête du PDG afin de l’arrêter pour tentative de meurtre sur un policier (lui-même). Comme dans le premier film, son programme l’en empêche mais il parvient à prendre le dessus et à le tuer. L’histoire s’achève sur le retour de la loi anti-robot présentait par les médias qui continuent à tenter d’influer sur l’opinion publique pour le compte d’O.C.P.

Cette comparaison nous enseigne deux choses. La première est que la science-fiction, même si elle parle d’un futur imaginaire est toujours d’une façon ou d’une autre ancrée dans la société actuelle. La deuxième est qu’elle nous permet d’avoir une vision de l’évolution de notre société. En 1987, lorsque Verhoeven a sorti Robocop, il y avait quelques ordinateurs personnels dans les foyers, pas encore de téléphone portable, d’internet, de réseaux sociaux… Dans ce film-là, l’humain est considéré comme supérieur au robot. En 2014 pour le Robocop de Padhila où le robot est considéré comme supérieur à l’humain, le bain technologique est radicalement différent. De nos jours on se repose beaucoup plus sur la technologie. Par exemple le téléphone portable devient une extension de mémoire externe pour tous les N° de téléphone. Autre exemple le GPS tend à remplacer les cartes géographiques et par là même à modifier notre appréhension de l’environnement. Aujourd’hui, la technologie a tendance à devenir indispensable dans certaines professions mais également du point de vu individuel. En d’autres termes, son caractère incontournable tend à la confondre avec son infaillibilité. Est-ce que ça n’est pas de ça que parle la différence de vision entre les deux films ? Sans oublier la chute : l’homme est toujours ce qui vient faire objection à la technologie.

BAERT DAMIEN.